Numéro une, de Tonie Marshall

 

Femme des années 2010

Numéro une, de Tonie MarshallEmmanuelle Blachey (Emmanuelle Devos) est, pour faire court, ce qui se fait de mieux dans le milieu des affaires. Brillante, volontaire, capable à la fois d’emmener son enfant à l’école le matin, d’entretenir une sincère relation amoureuse, de tenir tête à de nombreux dirigeants lors d’un conseil d’administration et même de sortir à un client important des blagues super cool en chinois, la chef d’entreprise en jette sévère. Et en plus, elle est modeste ! Alors, le jour où un réseau de femmes l’approche et lui propose de prendre la tête d’une entreprise du CAC40, elle tombe des nues. Quoi ? La femme parfaite qui deviendrait la première à parvenir à un tel poste ? Non, non, le monde préfère les hommes cupides, violents, calculateurs. Qui veulent rester entre hommes.

Parce qu’elle est parfaite, Emmanuelle Blachey n’a jamais songé à occuper un tel poste. Elle a beau diriger le géant français de l’énergie, elle ne réalise pas que c’est en étant en haut de la pyramide qu’on arrive à faire bouger les lignes. Bizarre… Mais finalement, elle change d’avis et la voici lancée dans une guerre fratricide avec Jean Beaumel (Richard Berry), le « méchant » dirigeant qui tire toutes les ficelles du pouvoir et qui est tellement persuadé qu’une femme n’arriverait jamais à obtenir une telle nomination qu’il préfère se faire seconder par Marc Ronsin (Benjamin Biolay), l’apprenti « méchant ».

Numéro une a deux mérites. Tout d’abord celui d’aborder ce monde mesquin du CAC40 qui agit comme un plafond de verre pour les femmes. La réalisatrice Tonie Marshall a bien étudié le sujet, d’autant plus qu’elle a demandé à Raphaëlle Bacqué, grand reporter au Monde, de l’aider sur le scénario. L’autre mérite est d’avoir choisi Emmanuelle Devos pour incarner cette madame Blachey qui serait un mix parfait entre Anne Lauvergeon, Laurence Parisot et Claire Pedini. Grâce à son grand talent d’actrice, elle sait nous révéler à quel point le pouvoir n’est qu’un rapport de séduction étriqué entre hommes et femmes. Pour convaincre son auditoire et gravir les échelons, une femme doit effacer les marques de sensualité sous peine de subir les avances et autres réflexions sexistes de la part de ses semblables masculins. Mais, dès lors qu’elle touche au but, elle peut alors enlever un bouton de son costume trois pièces et montrer qu’en plus d’être compétente, elle est désirable.

Malheureusement, la qualité générale de cette Numéro une est à l’image de la trajectoire cinématographique de sa réalisatrice : elle côtoie souvent la médiocrité. On a beau essayer de croire au côté « réaliste » défendu par Tonie Marshall, le rythme du film chute rapidement en raison d’un nombre important de scènes redondantes et de personnages tutoyant les grandes caricatures de notre société. Comme dans ses précédents films – ne citons que l’inquiétant Passe-Passe ou l’affreux Tu veux ou tu veux pas – on a toujours cette désagréable impression qu’il n’existe dans la vie que des personnes vivant à Neuilly-sur-Seine ou dans le 7e arrondissement, que des grandes entreprises moches, que des hommes soit très gentils et féministes, soit très méchants, violents et sex-addict… Malgré une sincérité qu’on ne remet en cause, nous sommes obligés de déclarer que Tonie Marshall vit, au quotidien, dans le monde des Bisounours CSP+. Même Google Maps n’arrive pas à la géolocaliser.

La femme des années 2000, elle n’est pas seulement en tailleur ou féministe ou fin stratège. Elle est également en tenue d’infirmière, de femme de ménage, de vendeuse ou d’agricultrice. Elle vit également à Auxerre, à Lens ou dans la banlieue de Schiltigheim et elle a encore plus de mérite dans la vie qu’Emmanuelle Blachey, la femme parfaite. C’est une autre « numéro une » que Tonie Marshall n’est pas près de rencontrer dans sa propre vie.

 
Numéro une de Tonie Marshall, avec Emmanuelle Devos, Suzanne Clément, Richard Berry, Benjamin Biolay… France, 2016. Sortie le 11 octobre 2017.