Green Room, de Jeremy Saulnier

 

Fatal concert

Green room, de Jeremy SaulnierPeu importe la rive de l’Atlantique sur laquelle on monte son groupe de punk rock, les galères restent toujours les mêmes. Tout se joue à bord d’un van agonisant, demeure insalubre où les rêves de gloire se font et se défont au rythme chaotique d’une mécanique précaire. On y mange peu, on y dort mal. On charge, on décharge le matériel dans un semi-coma permanent. On joue, fort et mal, puis on remballe. L’argent est une denrée rare que le serment rock’n'roll suffit rarement à compenser. Tournée foireuse. Fatigue galopante. Public improbable. Scènes minables. Tympans fusillés et boyaux retournés. Chaque soir, la surprise est au bout du riff… Voilà à quoi devait ressembler l’éprouvante tournée des Ain’t Rights avant qu’ils n’acceptent un dernier concert. Celui de trop ? Certainement, tant la salle, un pub de skinheads paumé au milieu des bois de l’Oregon, sent le danger à plein nez. Les crânes rasés, eux, jouent à domicile et le font savoir. Sans surprise l’ambiance de garnison du IIIe Reich pèse des kilo-tonnes et l’hostilité dégagée par certains spécimens de simili-aryens est si palpable qu’on pourrait la découper au couteau de chasse. D’autant que les Ain’t Rights, dépités de devoir envoyer leur set dans ce cloaque grouillant de fachos, jouent d’entrée la provoc en assénant crânement un « Nazi punks fuck off ! » – hymne antifasciste des Dead Kennedys, chantres du punk US – fébrile mais couillu vu le contexte. Malgré les crachats et les intimidations, le retour backstage se fait sans encombre mais il est temps de ne pas s’éterniser. Encore fallait-il ne pas y découvrir un cadavre fraîchement embroché. Devenus des témoins gênants, les jeunes punks ne sont pas près de quitter les lieux…

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Blue Ruin, Green Room… A chaque film sa couleur. Pas de bleu azur pour le premier, ni de vert prairie pour le second mais les teintes saumâtres d’une Amérique profonde rongée par la violence endémique de pécores bas du front aux neurones sérieusement endommagés par toutes sortes de substances addictives. Des coins reculés de purgatoire, que l’Oncle Sam n’aurait jamais pu imaginer de son temps, qui fascinent tant Jeremy Saulnier au point qu’il y plante avec constance le décor de mini-tragédies où les actes a priori anodins de pauvres types sans envergure déclenchent invariablement des bains de sang définitifs. A la vengeance maladroite de Blue Ruin succède le timing malchanceux de Green Room. Au cœur de l’Amérique White Trash, la moindre erreur se paye cash. Enfin, la couleur du titre – excellent comme le précédent – renvoie à la fois au rempart végétal cloisonnant la scène du drame, à la teinte principale d’une photographie quasi-monochrome et surtout au kaki des bombers que portent les skinheads. Une cohérence artistique pleine de morgue solennelle qui nous rappelle avec habileté qu’on n’est pas là pour se gondoler. Pourtant, alors que la tension et l’angoisse devraient atteindre l’irrespirable, c’est un ennui surprenant qui commence insidieusement à nous gagner. Ce que Jeremy Saulnier avait réussi parfaitement dans Blue Ruin ne prend que partiellement ici. L’ambiance est certes lourde mais le rythme fait d’inquiétantes syncopes. Les skinheads, figures de salopards de compétition, manquent cruellement d’envergure et de dangerosité pour réellement nous effrayer ou, au choix, nous donner l’irrésistible envie de les voir se faire massacrer. Dommage que le seul méchant vraiment prometteur se tienne trop rapidement à l’écart de l’embrouille. Tout comme Patrick Stewart qui, dans un contre-emploi de vieux parrain suprémaciste à la Stacy Keach dans American History X, n’inspire au mieux q’un poil d’indifférence malgré une barbe inédite.

En voulant atteindre une certaine épure stylistique, Jeremy Saunier bannit de sa recette les exhausteurs d’action qui font pourtant le piment des films de genre. Le plat est joliment dressé mais trop chichement assaisonné pour être vraiment bon. Green Room est un thriller bio et allégé représentatif du travail d’une nouvelle génération de réalisateurs indés américains qui ambitionnent de revisiter la série B en brouillant les codes du genre. Mais à force de privilégier le style, le risque de sonner creux tout en étant techniquement irréprochable existe. Comme dirait l’autre, c’est pas la crête qui fait le punk…

 
Green Room de Jeremy Saulnier, avec Anton Yelchin, Imogen Poots, Patrick Stewart… Etats-Unis, 2015. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs 2015 et au 41e Festival de Deauville.