Mia madre, de Nanni Moretti

 

Le film de ma mère

Mia madre, de Nanni MorettiMia madre, c’est « un film qui m’a vidé totalement », confesse bien volontiers Nanni Moretti. On le croit sur parole tant le cinéaste signe sans doute là l’un de ses films les plus denses et les plus personnels. Il y renoue avec la veine autobiographique. Celle-là même qui a irrigué la quasi-totalité de son cinéma. Depuis les diverses tribulations de son personnage de Michele Apicella dans Sogni d’Oro, Bianca et autre Palombella rossa, au bouleversant Giovanni (le véritable nom de Moretti) dans La Chambre du fils, en passant par les confessions du Journal intime et d’Aprile. Mais la douleur de La Chambre refermée, Nanni avait ensuite pris soin de se mettre en retrait. De descendre du haut de l’affiche de ses films pour remettre le flambeau à d’autres, ses alter ego : Silvio Orlando dans Le Caïman et Michel Piccoli dans Habemus Papam.

Avec Mia madre, tout en se gardant bien de venir occuper le sommet du générique, Moretti nous replonge dans le tohu-bohu de ses interrogations de cinéaste, de fils, de père. Un film plein qui brasse tous les thèmes chers au réalisateur. Après Michel Piccoli, c’est à l’actrice Margherita Buy qu’il confie cette fois le soin d’aller au turbin, explorer les tréfonds de sa conscience. Elle est… Margherita, réalisatrice pleine de certitudes derrière sa caméra, mais qui se retrouve submergée de confusion sitôt son quotidien retrouvé. Une mère à l’hôpital au crépuscule de sa vie, une fille prise dans les remous de l’adolescence et un frère, Giovanni (Nanni Moretti) à la force tranquille, tout en maîtrise et inlassablement exemplaire. Les nerfs à vif, Margherita se bat pour trouver sa place et la force de surmonter l’inéluctable, la perte de sa maman… Une épreuve abordée ici tout en douceur car si le deuil de La Chambre du fils était soudain, brutal et traumatisant, celui-ci s’inscrit davantage dans l’ordre naturel des choses. Et Nanni Moretti de filmer la dépense d’énergie – pas toujours bien maîtrisée – de Margherita pour accepter l’inexorable. Tout s’entremêle. Le réel, les souvenirs, les rêves. Au spectateur de faire le tri dans ce cheminement complexe et délicat vers la réalisation d’un nouveau soi. Une sorte de seconde naissance, contrainte et forcée, après le départ de ceux qui vous ont mis au monde une première fois.

De la part de celui dont on estime qu’il a réussi la synthèse du néoréalisme et de la comédie italienne et alors que les Matteo Garrone et autre Paolo Sorrentino chevauchent de plus en plus en première ligne du cinéma transalpin avec des réalisations bien plus sophistiquées (qu’on aime aussi), c’est finalement bien courageux de continuer ainsi à faire part de ses failles. A faire part de cette sensation d’être toujours et encore dépassé par la réalité. « Mais pourquoi est-ce que je continue de répéter les mêmes choses depuis des années ? Tout le monde me croit capable de comprendre la réalité, alors que je ne comprends plus rien », fait penser Moretti à Margherita. Tourner comme si c’était la première fois, avec la même ardeur, faire de bons films, si possible innover : la passion de Nanni Moretti est intacte. C’est cette même passion qui habite le personnage de la madre (excellente Giulia Lazzarini), ancienne professeur de latin (comme la propre mère du cinéaste), soucieuse, même sur son lit d’hôpital, de transmettre son enthousiasme à sa petite fille. C’est celle également de ces ouvriers menacés de licenciement mis en scène par Margherita. « Vous ne pourrez jamais comprendre ce que ce travail représente pour nous », lâche l’un d’entre eux au visage de leur patron fictif (fantastique John Turturro, plus italien que jamais). A travers ce film dans le film, Nanni nous dépeint un cinéma « laborieux », un travail à exercer avec excitation, mais un travail tout de même. Et non pas simplement un art auquel on s’abandonnerait totalement, à l’excès. Nanni Moretti n’est pas un disciple de la Méthode de l’Actors studio. « Je veux voir l’acteur à côté du personnage », se plaît-il à faire répéter à Margherita à plusieurs reprises. Comme une façon de nous rappeler toute l’importance et la difficulté de garder ses distances, au cinéma comme ailleurs, pour ne pas se perdre.

 
Mia madre de Nanni Moretti, avec Margherita Buy, Nanni Moretti, John Turturro… Italie, 2014. Prix du jury oecuménique au 68e Festival de Cannes. Sortie le 23 décembre 2015.

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