Leviathan, de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor

 

Leviathan, de Véréna Paravel et Lucien Castaing-TaylorLa force mythique des éléments, la beauté « brute » d’une nature sauvage, la place de l’homme dans un environnement qui lui est hostile… Voilà des thématiques a priori bien lourdes, chargées de sens et sujettes à des plans pompeux, des discours clichés, bref, le documentaire Leviathan ne se facilite pas la tâche. Et pourtant, au final, rien de tout ça. Ce qui est troublant…

Pour ce projet, les réalisateurs ont embarqué sur un bateau de pêche intensive au départ du port de New Bedford, ancienne capitale mondiale de la pêche à la baleine. Et quand on dit « embarqué », le terme est à prendre au sens littéral : des caméras GoPro ont été fixées un peu partout sur le bateau, donnant des angles inédits, des points de vue surprenants… La caméra fait ainsi partie du bateau, elle y est viscéralement attachée et c’est donc ainsi que nous vivrons ce voyage, au risque de ne pas s’y retrouver. La perte de repères est une figure de style tout au long du film, en témoigne le plan d’ouverture où le spectateur met quelque minutes avant de comprendre où il est et ce qu’il se passe. Leviathan n’est pas le suivi documentaire d’une profession : c’est la retranscription d’un ressenti. La mer, la sauvage, l’impitoyable, la déchaînée. C’est un roman de Melville, c’est l’étoffe des légendes ; on n’aurait pas été surpris de voir surgir un Kraken dans ce film, l’ombre des grands mythes marins hante le film, on comprend soudain ce qu’inspire la mer à l’homme (citation de Renaud interdite sous peine de sanctions pénales).

Comme tous les films non-narratifs (pas de commentaires, pas de vrai discours), c’est une expérience qui se vit plus qu’elle ne se raconte. Cela dit, c’est une belle excuse pour ne pas vraiment critiquer un film et se réfugier derrière sa beauté formelle sidérante. Ce qui impressionne le plus dans Leviathan c’est la tranquillité, la routine qui s’en détache. Ces hommes font ce qu’ils font, peut-être depuis des siècles, ces carcasses d’animaux nous hantent depuis toujours. Sans chercher à épater la galerie avec des plans inédits, du « jamais vu », le documentaire révèle avant tout une activité ancestrale, un lien entre l’homme et la nature qui a toujours été là, de manière très naturelle, normale… La banalité révélée de ces plans est en elle-même ce qu’il y a de plus sidérant. Ces plans à couper le souffle ne sont finalement que les traces de quelque chose qui nous précède et nous survivra.

La communion avec les éléments et la lutte que nous menons contre eux. Leviathan nous fait vivre cette relation paradoxale avec talent et malgré tout avec un regard posé, attentif. On ne sort pas forcément ébranlé de ce film, plutôt avec l’impression d’avoir pris part à un voyage initiatique dont on n’a pas encore toutes les clés.

 
Leviathan de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor. Angleterre, France, Etats-Unis, 2012. Sortie le 28 août 2013.

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