Les Bonnes Manières, de Juliana Rojas et Marco Dutra

 

La mère et la bête

Les Bonnes manières, de Juliana Rojas et Marco DutraClara, infirmière farouche d’un quartier pauvre de Sao Paulo, se fait engager comme aide à domicile et nounou pour l’enfant qu’attend la jeune et riche Ana. Après un round d’observation marqué par leur différence de classe sociale, les deux femmes aux cœurs solitaires vont se rapprocher jusqu’au partage de leur intimité. Mais, plus sa grossesse avance plus Ana révèle un comportement de plus en plus étrange et inquiétant les nuits de pleine lune.

Film fantastique à plus d’un titre, Les Bonnes Manières réalisé par un talentueux duo mixte brésilien est assurément une des (très) bonnes nouvelles de la sélection 2018 du Festival de Gérardmer. Voilà un film totalement libre assumant sans complexe et avec finesse de muter au fil des minutes de chronique sociale à romance intimiste puis de drame familial à fable d’épouvante. La grande force du tandem aux commandes étant d’avoir réussi à s’affranchir totalement des codes de tous ces genres pour s’insinuer avec une infinie délicatesse dans le quotidien de deux amoureuses solitaires s’illuminant mutuellement avant d’entrer dans celui d’une mère folle d’amour pour un enfant vraiment pas comme les autres. Adeptes d’une certaine économie verbale, ils font le choix judicieux de faire confiance à la musique et de laisser parler le regard incroyablement doux et fiévreux à la fois de leur excellente actrice principale – Isabel Zuaa dans le rôle de Clara – pour raconter cette histoire sombre chargée en sentiments les plus purs.

Avec sa structure bipolaire parfaitement séparée par un événement charnière – qu’on évitera de spoiler – le film percute par sa façon toute particulière de faire jaillir une poésie naturaliste singulière à partir de petits riens de la vie, comme un geste tendre, une berceuse poignante jouée par une voisine mélomane, un cours télévisé de zumba ou une séance d’épilation familiale. Fable vibrante, parfois dérangeante – notamment quand la maternité devient une abomination – mais jamais grinçante sur les différences sociales, sexuelles ou originelles, Les Bonnes Manières avance par petites touches impressionnistes depuis le constat socialement lucide sur la société brésilienne qui ouvre le film jusqu’à l’ode à l’amour maternel qui le clôt. L’amour d’une mère par défaut prête à se faire dévorer pour que vive le petit monstre qu’elle a choisi d’aimer et d’élever. Ou bien, comme le suggère le dernier plan du film, ces deux êtres hors normes s’unissent pour faire face à un monde qui ne veut pas d’eux. « Toi et moi contre le monde entier. Et rien ne pourra nous arriver… », l’image est belle comme cette fable fantastique brésilienne.

 
Les bonnes manières (As Boas Maneiras) de Juliana Rojas et Marco Dutra, avec Isabel Zuaa, Marjorie Estiano, Miguel Lobo… Brésil, 2017. Présenté en compétition au Festival international du film fantastique de Gérardmer 2018. Sortie le 21 mars 2018.

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