Le Disciple, de Kirill Serebrennikov

 

Veniamin est adolescent. A l’école, il passe son temps à lire la Bible et refuse de retirer ses vêtements à la piscine. Devant la curiosité, voire l’amusement, du corps professoral et de ses camarades, Veniamin voit une invitation à continuer.

Foi grave

Le Disciple, de Kirill SerebrennikovPerdre ses repères à l’adolescence, lorsque des filles dénudées se baladent à la piscine et que l’éveil à la sexualité s’accompagne d’un grand point d’interrogation, qu’on est élevé par une mère célibataire qui cumule les boulots et que nos camarades de classe ne nous portent pas dans leur cœur : rien d’anormal. Et avant de trouver un sens à la vie – s’il y en a bien un à trouver –, on peut se perdre momentanément, comme le suppose la mère de Veniamin au début du film, dans la drogue ou la masturbation. Ce qui est moins normal, c’est de se réfugier si jeune dans la religion et de connaître une crise mystique. De velléité spirituelle, le catholicisme prend une place de plus en plus importante pour Veniamin. Et lorsqu’il fait son « coming out » bigot à sa mère, il y voit une libération et une autorisation implicite, un signe qu’il doit évangéliser ses pairs. Les professeurs l’écoutent débiter ses sornettes, demander l’obligation des maillots de bain féminins une-pièce à la piscine, exiger l’arrêt des cours d’éducation sexuelle, installer une croix dans l’école… Seule la professeur de biologie, Elena, tient bon et ne recule pas devant les prédications du jeune garçon. Les autres membres enseignants sont caricaturaux, au mieux figés dans l’immobilisme, au pire rétrogrades et en grande partie responsables, par leur intellect défaillant, de la situation. Ce n’est d’ailleurs pas ce débat-là (celui de savoir si l’homme descend du singe ou d’Adam) qui intéresse le réalisateur Kirill Serebrennikov. C’est le mécanisme : comment Veniamin franchit la frontière.

La croix et la manière

Le Disciple, de Kirill SerebrennikovLentement mais sûrement, la crise mystique glisse vers le fanatisme religieux. Dès lors, la curiosité un peu jalouse (de la facilité avec laquelle Veniamin charme son auditoire) laisse la place chez le spectateur à la stupeur et à l’effroi. Le mécanisme d’embrigadement est implacable, à cela près que dans Le Disciple, Veniamin joue tous les rôles : celui du gourou, du bourreau, de la victime. Année 2016 oblige, impossible de ne pas penser à ces gamins qui interprètent les textes religieux comme bon leur semble, sans le recul nécessaire. Et qui finissent par se faire exploser au nom d’un Dieu vengeur. Veniamin trouve une justification de tous ses actes dans la Bible ; pire, comme on jouerait son destin sur un coup de dés, lui récite la Bible pour trouver le courage d’agir. A l’instar de ces popes et autres ecclésiastes qui prêchent la bonne parole alors qu’eux mêmes devraient balayer devant leur porte, Veniamin fait du prosélytisme en occultant ses propres pensées. Kirill Serebrennikov fait à la fois preuve d’ironie et d’honnêteté intellectuelle en incrustant chacune des citations à l’image lorsqu’elle sont dites, afin qu’on ne puisse l’accuser, à son tour, de détourner les Ecritures. Le Disciple est alors implacable : pour l’avenir de la Russie – et en filigrane, du reste du monde –, l’extrémisme religieux est un fléau à combattre, et le dialogue, avec des figures adultes intelligentes et cultivées, la solution.

 
Le Disciple (Uchenik) de Kirill Serebrennikov, avec Victoria Isakova, Petr Skvortsov, Julia Aug, Alexandr Gorchilin… Russie, 2016. Présenté en sélection Un Certain Regard au 69e Festival de Cannes. Prix François Chalais 2016.