Laurence Anyways, de Xavier Dolan

 

La métamorphose

Laurence Anyways de Xavier DolanDans une rue gagnée par le brouillard, une longiligne silhouette à la féminité exacerbée avance vers l’horizon. Ce corps élancé, filmé de dos, longue chevelure au vent, avance d’un pas décidé, et trahit par ses contours surlignés, son origine trouble. Nous sommes à Montréal, dans les années 2000 : Laurence (Melvil Poupaud), jeune homme de 35 ans, est devenu femme. Cette inaugurale séquence amorce le récit de son combat, de ses pertes et de son épiphanie, une décennie durant : Laurence Anyways est l’histoire d’une trajectoire.

La Croisette s’est entichée depuis 2009 de Xavier Dolan, jeune prodige québécois révélé à l’âge de 20 ans par un premier long-métrage autobiographique filmé comme un cri. A Comment j’ai tué ma mère succède, l’année suivante, Les Amours imaginaires, histoire d’un coup de foudre sans retour d’un jeune homme et de sa sœur pour un éphèbe inaccessible. Dolan s’impose avec arrogance : esthétisme saturé, grandiloquence, ressassement ; charme fou. Un cinéma déterminé, pétri de narcissisme et d’effronterie. Dolan, sale gosse et tête à claques, y hurle ses doutes identitaires, son désir d’aimer et d’être regardé. Avec Laurence Anyways, il porte ses obsessions à incandescence dans une vaste épopée opératique de 2h40 au souffle puissant.

Elle nous emporte, cette révolution individuelle au nom de la liberté et de l’épanouissement personnel. Dolan suit Laurence dans sa métamorphose en cours, pas à pas, au gré des saisons. De la révélation douloureuse de son désir de changer de sexe et de corps à son entourage qui le rejette ou l’accompagne, jusqu’à la métamorphose exposée au grand jour. Dans l’intervalle, il nous embarque, dans ses excès, aux portes de l’hystérie, comme dans ses instants de grâce ; il nous enivre d’une bande originale sensuelle et vivifiante, nous hypnotise par ses chromatismes rageurs, ses flous veloutés et son montage aérien. Dolan affiche sa soif de séduction. Poseur, il l’est. Mais son geste, ici, a de l’ampleur : il envoûte.
En alter ego filmé, Melvil Poupaud avance, frondeur, regards noir de jais plantés dans les yeux de ses partenaires : en homme-femme en croisade vers sa juste identité, il électrise. Et dans son mouvement et sa démesure, se déploie, aussi, sa plus grande histoire d’amour avec la flamboyante Fred qui valse avec lui dans le tumulte (c’est la Québécoise Suzanne Clément, tout en fantaisie et vibrations). La force de leurs liens, rompus et renoués en alternance, traverse le film, tambour battant. Leur fougue, nous aussi, nous transporte.

 
Laurence Anyways de Xavier Dolan, avec Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Nathalie Baye… Canada, France, 2012. En sélection Un Certain Regard au 65e Festival de Cannes.

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