Gun Crazy, de Joseph H. Lewis

 

Gun Crazy, de Joseph H. LewisAttention événement : la toute première édition en DVD (et la première au monde en Blu-ray) de Gun Crazy n’est pas une sortie comme les autres. C’est la possibilité d’enfin voir – et de contextualiser, grâce au livre signé Eddie Muller qui accompagne le coffret – un immense classique du polar, sorti aux Etats-Unis en 1950 et vite oublié malgré les louanges. Réhabilité quelques années plus tard, notamment par les cinéastes de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard allant jusqu’à y trouver une pénétrante inspiration pour A bout de souffle, Gun Crazy ressort du passé auréolé d’une double légende : celle d’un couple de cinéma (John Dall/Bart et Peggy Cummins/Laurie) qui transcende le film noir, et celle qui sous-tend la création d’un chef-d’œuvre.

Le pitch est assez simple : Bart se passionne pour les armes, qu’il chérit non pas pour la mort qu’elles peuvent donner mais pour l’excitation qu’elles procurent. Il rencontre Laurie, as de la gâchette au charme redoutable. A eux deux, ils vont piller banques et commerçants pour mener la grande vie. Avant Bonnie et Clyde (1967), Doc et Carol (Guet-apens, 1972), Kit et Holly (La Balade sauvage, 1973), Mickey et Mallory (Tueurs nés, 1994), il y avait donc Bart et Laurie, couple de bandits fous amoureux rendus inoubliables par leur charisme à l’écran et l’énergie frénétique de Gun Crazy. Lui, sensible, tiraillé entre sa passion pour Laurie et sa droiture naturelle, elle, archétype de la femme fatale : sexy et troublante, belle au regard profond capable d’exprimer aussi bien l’amour qu’une insondable colère. Une femme à se damner, une héroïne qu’on déteste autant qu’on l’adore.

Si le choix de Peggy Cummins est assurément un tour de force de la part du réalisateur Joe Lewis et des frères King, producteurs du film, il est loin d’être le seul. Gun Crazy constitue l’éclatante démonstration du caractère collectif du cinéma : un film est une aventure humaine, et non le fruit du seul metteur en scène. MacKinlay Kantor publie en 1940 une nouvelle profonde sur un jeune homme féru d’armes à feu ; en 1946 les King découvrent l’histoire et décident de la transposer à l’écran ; après moult péripéties, Dalton Trumbo, alors blacklisté à Hollywood, signe le scénario de Gun Crazy sous le pseudonyme de Millard Kaufman, effectuant ce qu’il sait faire de mieux : un film subversif qui contourne subtilement le code Hays (la censure américaine). Du directeur photo jusqu’au choix du réalisateur, le talentueux Joseph H. Lewis qui donne à l’action ses lettres de noblesse grâce à une économie de paroles et une ingéniosité visuelle rare (l’admirable et tendu plan-séquence du pillage de banque), Gun Crazy conjugue de nombreux talents qui éclatent simultanément à l’écran. Un film aussi noir que vertigineux. Une source d’inspiration évidente pour les Quentin Tarantino, Arthur Penn et autres maîtres du polar, mise en lumière par l’ouvrage d’Eddie Muller, dont la lecture est tout aussi indispensable que la vision de Gun Crazy.

 
Gun Crazy de Joseph H. Lewis, avec John Dall, Peggy Cummins, Russ Tamblyn… Etats-Unis, 1950. Sortie en DVD+Blu-ray+livre chez Wildside Vidéo le 4 décembre 2013.