Les Garçons et Guillaume, à table !, de Guillaume Gallienne

 

Les Garçons et Guillaume, à table !Adapter un spectacle pour le cinéma n’est jamais chose aisée. En règle générale, adapter une pièce de théâtre est encore plus complexe, et les auteurs ont souvent du mal à se défaire d’une unité de lieu, de temps et d’intrigue dictée par les règles de l’art antique.
Adapter son propre spectacle, quand on le porte comme un étendard, est aussi complexe. Souvent l’auteur se fait « manger » par son sujet, phagocyté par les émotions, le rendant parfois obscur au reste du monde, ou anecdotique pour ceux qui ne l’ont pas vécu.
Deux écueils. Deux des plus évidentes réussites de Guillaume Gallienne.
Son spectacle contait son enfance, son adolescence, et surtout ses rapports à sa mère. Il contait la difficulté pour un petit garçon fragile de faire son « coming out hétéro ». Il contait sa fascination pour les femmes.
Son film fait de même, avec un génie sans cesse renouvelé, une finesse salutaire, un refus du pathos dont on lui sait gré.

Il s’agit donc d’un petit garçon très proche de sa mère, au contraire de ses frères, athlétiques et virils. Guillaume, lui, est persuadé que sa maman le voit fille, et se conforme à ce regard supposé. Il adopte la sensibilité comme devise personnelle, la culture comme blason, la féminité comme un habit de lumière. Et Guillaume va devenir, aux yeux de tous, homo. Sauf que Guillaume, en âge d’en aimer d’autres que sa mère, va se poser des questions, se faire peur, se révéler tel qu’il est. Un récit banal, presque, d’une adolescence.
Pourquoi alors nous touche-t-il autant ?
Parce que, d’abord, Guillaume Gallienne NOUS raconte. Il ne fait pas que raconter, il s’adresse à nous. Grâce à un montage en parallèle du spectacle joué au théâtre (mais justifié tout de même) et de l’illustration de ce qu’il conte, il joue la carte d’une voix off diégétique avec bonheur. Et nous emmène par la main dans son monde.
Et c’est grâce à ce guidage affectueux que le spectateur adhère aussi immédiatement à l’univers qui lui est présenté, où les personnages apparaissent parfois pour commenter les scènes, où, surtout, Guillaume joue Guillaume… et sa mère.
Et ce n’est alors ni du travestissement, ni du déguisement, mais une incarnation incroyable, un postulat qu’on accepte comme un théorème bienvenu parce que lui seul pouvait insuffler à ce personnage la vie et nous la montrer nimbée de toute la tendresse avec laquelle il la voit. « La mère » aurait pu être castratrice, désagréable, trop présente. Jouée par lui elle est drôle, perdue et fragile, tout en étant dirigiste quand il le faut, elle est humaine.
Et parce que Les Garçons et Guillaume, à table ! est autant une fable sur un jeune homme qui se cherche qu’un hommage à sa mère, le film devient tendre.

Mais il n’est pas que ça. Si parfois les larmes montent aux yeux, brusquées par un trop plein d’amour et de tendresse… il s’applique à ne jamais pour autant tomber dans le pathos. Il écourte les scène qui réclamaient du violon, les tord avec bonheur pour les faire basculer dans le rire. Aux éclats. Impossible de résister à la finesse de l’humour du réalisateur, qui n’épargne rien ni personne, mais le fait avec une intelligence folle. On lui pardonnerait tout.
On lui pardonne de jouer avec nos nerfs, de jouer avec nos larmes, de jouer avec nos zygomatiques. Parce qu’il ne le fait pas pour rien, parce qu’il le fait parce que cette histoire est importante et beaucoup plus universelle qu’il n’y paraît. On lui pardonne de jouer avec la réalité et la fiction, brouillant les pistes, pour notre bien. Parce que jamais il n’oublie qu’il faut raconter une histoire. Parce qu’on sort de son film avec un sourire irrépressible, avec une envie d’y retourner, d’emmener tous les gens qu’on aime le voir, se permettant d’emprunter son talent pour le leur dire.
Parce que c’est ça, finalement, le cinéma, l’envie de rejoindre l’histoire, de rester avec l’acteur, l’auteur, le réalisateur, de s’asseoir à sa table. (Fadette Drouard)

 
Les Garçons et Guillaume, à table ! de et avec Guillaume Gallienne, avec aussi André Marcon, Françoise Fabian… France, 2012. Sortie le 20 novembre 2013. Présenté à la 45e Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes.

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