Frank et Lola, de Matthew M. Ross

 

Quand l’amour ne fait pas recette

Frank et Lola, de Matthew RossLe visage émacié, le corps effilé comme les couteaux qu’il manie avec brio dans la cuisine de son restaurant, Frank tombe amoureux de la jeune Lola, très libérée avec son corps. Le coup de foudre est tel qu’ils se tatouent le prénom l’un de l’autre. Mais si Frank affiche une honnêteté à toute épreuve, Lola ne semble pas très à cheval sur la fidélité. Aussi, quand elle avoue l’avoir trompé, elle rajoute au passage une sombre histoire de viol qui va torturer les méninges du cuistot, qui aurait préféré concocter un autre plat que celui de la vengeance. La romance se mue alors en film noir, avec filature de l’hypothétique violeur dans les rues de Paris, boîtes échangistes où les corps s’amalgament sans plaisir, le tout saupoudré de manipulation psychologique, d’érotisme sans titillage et de drame amoureux avec rimmel qui coule. Sur des images léchées, le jeune Matthew Ross propose un premier film sombre et vénéneux, brouille les pistes, avec en ligne de mire les maîtres De Palma ou Verhoeven. Mais l’élève a encore bien du chemin pour dépasser les maîtres, même s’il dirige un casting de choix avec Michael Shannon dont on croit naïvement qu’il change de registre et quitte les rôles névrotiques qui sillonnent sa carrière. A ses côtés, Imogen Poots, la nouvelle Kate Winslet en Lola ambiguë et passionnée, Justin Long en Américain pure souche, Michael Nyqvist en parodie de DSK, Emmanuelle Devos qui cachetonne en roue libre ou encore Rosanna Arquette, botoxée et vulgaire au possible. Le film oscille ainsi sans arrêt entre esthétisme et sordide, carte postale clichée (Paris comme on l’a toujours vue) et originalité (les scènes de préparation de repas), avec une narration décousue entre flash-backs, fantasmes et ellipses. En voulant faire court (à peine 1h28), Matthew Ross se prive de créer un vrai film d’ambiance qui aurait mérité moins de raccourcis et plus de corps à ses personnages, au lieu de s’intéresser à l’âme qui flotte et disparaît à peine après avoir été effleurée. L’histoire d’amour en pâtit, alors qu’on aurait voulu s’éprendre de la douleur des deux protagonistes en même temps qu’eux. Ce sera pour la prochaine fois, tant le brouillon est prometteur. On a eu l’entrée, on attend désormais le plat de résistance.

 
Frank & Lola de Matthew Ross, avec Michael Shannon, Imogen Poots, Michael Nyqvist, Justin Long, Emmanuelle Devos et Rosanna Arquette. Présenté en compétition au 42e Festival du cinéma américain de Deauville.