Du sang, du cœur et des humeurs

 

Bill DoolinPour ce centième papier, mettons les petits plats dans les grands. John Wayne, Angie Dickinson, Joel McCrae, Marlène Dietrich, Burt Lancaster, Sam Peckinpah, Randolph Scott, Budd Boetticher, Lee Van Cleef, James Coburn et le grand Mario Bava dévoilent tout leur talent dans des versions DVD et Blu-ray si bichonnées qu’elles donnent l’envie de dépenser l’intégralité du budget que vous aviez réservé pour vous chauffer cet hiver.

 

Bava dans le coup

Mario Bava tient une place spéciale dans le temple du septième art, au côté de Welles et Chaplin, là où s’épanouit le clair-obscur. Considéré par les cinéphages, les professionnels de la profession et les apprentis cinéastes comme un artisan génial, il symbolise à la perfection le lien étroit entre métier et passion. Artiste singulier, technicien de génie, sauveur des causes désespérées, Bava a touché à tous les styles, occupé tous les postes, vécu toutes les emmerdes. Il est une légende vénérée et révérée. Aujourd’hui, la référence Bava, référence sacrée, est une marque qui inspire et nourrit ses héritiers. Son écriture et son langage cinématographique, qui n’ont jamais paru aussi modernes, exacerbent les sens. De Bava, il faut tout voir. Sans exception. Et tout revoir. C’est ici : https://sidoniscalysta.com/recherche?s=mario+bava

 

Mordez la poussière !

Embrayons les hostilités avec L’Homme au fusil (1955) de Richard Wilson. Ce western lunaire où Robert Mitchum incarne un antihéros chargé de débarrasser une petite ville de ses sauvageons dénote du tout-venant par ses scènes aussi belles que cruelles. Richard Wilson, producteur légendaire d’Orson Welles, qui signe ici son premier film, livre une œuvre singulière sur l’Ouest américain. C’est direct, sec et pas aimable. Les choix osés de Wilson ne sont pas pour rien dans la réussite de l’entreprise. La Vengeance du Shérif (1969) réalisé par Burt Kennedy (et toujours avec Robert Mitchum) est de facture plus classique, plus plan-plan, moins hanté par les démons du genre. À la fin des années 1960, le western est déjà un genre à l’agonie. Du coup, si vous appréciez les œuvres inédites et décalées (ou classées à leur époque comme ringardes), jetez-vous sur Bill Doolin, le hors-la-loi (1981), dernier western de Burt Lancaster. L’histoire est assez drôle : deux adolescentes, fans de roman à deux sous, décident de partir à la recherche de leur cow-boy préféré. Petit hic, la fiction ne colle pas vraiment à la réalité. Ce décalage rappelle l’une des pièces maîtresses du romancier Larry McMurtry, Anything for Billy, qui raconte l’épopée hallucinante dans le Grand Ouest d’un auteur à la petite semaine qui n’a jamais quitté son bureau de New York ! Autre inédit à vous mettre sous la dent, l’original Fleuve de la dernière chance (1955), western d’aventure qui voit une bande de survivants d’un massacre fuir les Indiens sur le fleuve Colorado. Dépaysement garanti !

Un premier grand western. Les Compagnons de la gloire (1965). Arnold Laven est aux manettes et Sam Peckinpah au scénario. C’est l’histoire d’une troupe de bleus sacrifiés pour assassiner le peuple indien. On y voit de jeunes soldats mal préparés tomber devant des ennemis qui ne sont pas les leurs. Les Compagnons de la gloire reste dans l’histoire du cinéma comme une référence esthétique. Les cadres et la lumière subliment la cruauté des hommes autant qu’ils magnifient la nature. Du grand cinéma. Second grand western avec Fort Massacre (1958). Ce bijou porté par Joel McCrea relate l’odyssée vengeresse d’un homme qui perd les pédales après la mort de son fils et de sa femme. Le sergent Vinson doit ramener sains et saufs des soldats de la cavalerie mais traverser le territoire hostile des Indiens le porte vers l’abîme. Fort Massacre a fait sa réputation sur la profondeur psychologique de son intrigue et la puissance de sa dramaturgie. Les dialogues puissants et ciselés marquent au fer rouge. Les Écumeurs (1942) et Fort Yuma (1955), de nature plus classique sonnent davantage comme des westerns à papa. Notons que Les Écumeurs explore l’ambiance des trappeurs et chercheurs d’or au début du XXe siècle en Alaska. Pour les yeux. Réservez Les Compagnons de la gloire et Fort Massacre pour le cerveau.

Décision à Sundown (1957), classé au rayon des merveilles du cinéma, ne plaît pas à Bertrand Tavernier mais ravit Martin Scorsese, Tarantino, Sergio Leone et consorts. Autant dire que cette énième histoire de vengeance (et donc d’échec personnel) a fait couler beaucoup d’encre et de salive chez les plus cinéphiles et connaisseurs du genre. Pour ma part, je rejoins Tavernier. Décision à Sundown n’est pas le meilleur Budd Boetticher. Je préfère, et de loin, Sept hommes à abattre et Comanche Station dont le soin apporté à la mise en scène, aux dialogues et à la distribution surclassent largement ce décidément trop falot Décision à Sundown. Si vous ne le connaissez pas, tentez tout de même l’aventure. Remettons-nous de nos émotions avec un petit western des familles sec et nerveux, Bataille sans merci (1953). Goupillé par le grand Raoul Walsh, le film vaut surtout pour sa mise en scène inventive qui à l’origine devait être exploitée en relief. Notons qu’il ne fut jamais projeté en 3D dans les salles françaises. L’intrigue tourne autour d’une épopée en diligence qui tourne au fiasco. Le père Walsh déroule toute la panoplie du Grand Ouest (Indiens, cow-boys, malandrins et jolies pépés) sur un rythme effréné mais sans grande inspiration. C’est un drôle de film que celui-là !

La Chevauchée de la vengeance (1959) de Budd Boetticher. Qu’est-ce qui fait un très grand western ? Un cahier des charges précis avec : une histoire simple et efficace filmée en scope, une immersion réaliste dans le Grand Ouest, des paysages utilisés comme des éléments essentiels de l’intrigue, une construction implacable de la dramaturgie, des personnages idiots et sadiques, un héros hanté par son passé, une fin magnifique. Et cetera. La Chevauchée de la vengeance est un grand Boetticher et un grand western. C’est entendu, mais qu’est-ce qui fait un très très grand western ? Un western unique qui révolutionne le genre. Un exemple ? Le Passage du canyon (1946) du grand Jacques Tourneur. Unique parce que le ton est unique et qu’il porte la marque singulière d’un cinéaste européen qui a su comme peu de ses confrères se réapproprier les codes du genre. Déjà, Le Passage du canyon se passe dans les épaisses forêts de l’Oregon, loin du désert aride de l’Arizona. Durant cette traversée, on semble transportés dans un univers inconnu. Ensuite, c’est tout le savoir-faire de Tourneur qui s’exprime ; les mouvements de caméra, aussi doux que des caresses flattent la rétine comme peu de long-métrages l’ont fait. Et s’il n’y avait que la forme… La direction d’acteur, mes aïeux ! En effet, Tourneur, qui s’appliquait dans chacun de ses films à faire déjouer ses acteurs et ses actrices en leur offrant des contre-emplois, crée des atmosphères à chaque plan. Cette épopée au long cours laisse encore pantois les grands maîtres du septième art. Quel privilège de pouvoir découvrir ce bijou !

En aparté : si quelques lignes plus haut, j’évoque les qualités de La Chevauchée de la vengeance et Décision à Sundown de Boetticher, sachez que Sidonis Calysta ressort Comanche Station (1960) en version remasterisée HD. Rien que ça ! Et si vous êtes ultra fan de Randolph Scott, jetez votre dévolu sur Dix hommes à abattre, moins puissant qu’un Boetticher mais Scott fait le job.

Terminons cette sélection de westerns avec Valdez (1971). Quand un éleveur de bétail tue un Noir et refuse de payer son enterrement, Valdez, un ancien éclaireur, l’exige pour sa veuve. Face au refus musclé de l’éleveur, Valdez entend régler les comptes à sa manière. Valdez, adaptation d’un roman d’Elmore Leonard, délivre un ton mordant, puissant et sec quasi salvateur. La gueule burinée de Burt Lancaster fait du bien à l’âme. Ça déménage et c’est tant mieux. Un dernier pour la route ? En 1970, sortait Macho Callahan (1970), un western OVNI, craspec et méchant avec David Jenssen et Jean Seberg qui raconte l’histoire d’un déserteur obnubilé par la vengeance. La beauté formelle du film détonne derrière la montagne de cruauté.

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