Welcome to New York, d’Abel Ferrara

 

Bête et méchant

Welcome to New York« J’ai dit en mon cœur : Dieu jugera le juste et le méchant ; car il y a là un temps pour toute chose et pour toute œuvre. J’ai dit en mon cœur, au sujet des fils de l’homme, que Dieu les éprouverait, et qu’eux-mêmes verraient qu’ils ne sont que des bêtes. Car le sort des fils de l’homme et celui de la bête sont pour eux un même sort ; comme meurt l’un, ainsi meurt l’autre, ils ont tous un même souffle, et la supériorité de l’homme sur la bête est nulle ; car tout est vanité. » Ecclésiaste, ch. 3 versets 18-19

On attend toujours une bonne adaptation de l’Ancien Testament, cette longue fresque qui narre les aventures d’un créateur un brin vengeur, un soupçon taquin, qui tour à tour élit et brime son peuple, dans de nombreuses péripéties qui entraînent le lecteur de la Chaldée aux rives du Nil, puis dans un voyage inverse, jusqu’à Babylone. Un roman exotique qui se lit comme un thriller, dont quelques aspects, notamment la dualité entre le Bien et le Mal, percent çà et là dans certains œuvres.

Voilà où Welcome to New York pourrait se placer, en montrant un certain Devereaux, président de la Banque Mondiale, se livrer à toutes sortes de péchés de chair malgré son mariage avec une certaine Simone. Rythmé par les grognements bestiaux d’un Depardieu devenu ogre, ce métrage narre les loisirs scandaleux puis la déchéance d’un homme tiraillé entre ses pulsions et l’ambition de sa femme. Soumis, éloigné du réel à un point de non-retour, cet homme devenu animal avait pour destin de tenir les rênes d’un pays pendant au moins cinq ans. Il en reste un « héros » qui ne peut contenir ses désirs violents que quelques secondes.

Ferrara n’a pas fait dans la dentelle, comme on devait s’y attendre eu égard aux premiers moments de sa filmographie. Tourné dans un numérique ternouze, dans des décors sinistres, Welcome to New York sent la rapidité d’exécution, le besoin d’être raccord à la rapide déconvenue du personnage médiatique dépeint. Une forme finalement pamphlétaire, d’où l’humanité ne sort pas grandie. Car le film n’oppose pas le bien au mal, mais bien le calcul, la manipulation (côté féminin) au principe de plaisir immédiat (côté masculin). Ni intimité, ni nuance ne se dégage de cette oraison funèbre, dans laquelle la rédemption n’existe pas.

En cela, c’est une entorse même au schéma narratif que pratique Ferrara : flash-back et avancées chronologiques montrent que ce couple ne changera jamais, et, comme tout est vanité, que l’élément modificateur ne change que la façade extérieure des êtres. Avant ou après l’affaire, le dégoût à l’endroit de Devereaux ne s’estompe jamais.

Sans être un chef-d’œuvre subversif, Welcome to New York sera le résumé cinématographique d’un fait divers finalement exemplaire, à valeur de questionnement sur le différentiel entre le politiquement correct prôné par certains puissants et leurs modes de vie. Sur le plan allégorique, en remplaçant Devereaux par la démocratie sociale-libérale et Simone par le pouvoir de l’argent, on obtient peut-être une image assez nette du curieux attelage qui tracte idéologiquement le monde occidental. Quant à l’humanisme, il faudra le chercher ailleurs.

 
Welcome to New York d’Abel Ferrara, avec Gérard Depardieu, Jacqueline Bisset, Drena De Niro… Etats-Unis, 2014.