Désirs humains, de Fritz Lang

 

Glenn Ford, Gloria Grahame et Broderick Crawford dans Désirs humainsEnfin disponible en DVD, le chef-d’œuvre injustement oublié de Fritz Lang. Ce remake de La Bête humaine de Jean Renoir est un film noir, implacable où les personnages sont les jouets d’un funeste destin.

Un couple. Le mari, vieillissant et malade de jalousie, tue l’amant supposé de sa jeune et jolie épouse. Celle-ci va devenir dès lors la maîtresse d’un troisième homme, témoin du crime, et lui demander de tuer son mari, pour lequel elle ne ressent plus que haine et dégoût… “La caractéristique de tous mes films c’est le combat contre le destin. Ce n’est pas le destin qui est important, mais le combat.” Voilà comment Fritz Lang parlait de ses œuvres. Désirs humains n’échappe pas à cette règle et, ironie du sort, jusque dans sa genèse.

Affiche de Désirs humains, de Fritz LangPremière anicroche. Au sujet du lieu de tournage. Lang voulait le Canada. Ce sera la Californie où il devra recréer la lumière du Nord, celle de Chicago, où se déroule l’intrigue.
Deuxième querelle autour du casting. L’épouse sensuelle et séduisante devait être jouée par Rita Hayworth. Ce sera finalement Gloria Grahame, actrice avec laquelle Lang s’était très mal entendu sur le tournage de Règlement de comptes. Quant à sa bête humaine, son monstre, il lui avait déjà donné un visage. Pour Lang, c’était forcément Peter Lorre, celui qui avait incarné dans M le Maudit ce pédophile tueur d’enfants dans l’Allemagne des années 1930. Mais Lorre refusa, traumatisé par le précédent tournage avec le réalisateur exigeant. Ce sera Glenn Ford et son physique plus ordinaire. Ca tombe plutôt bien car de monstre, la production n’en voulait pas.
La lutte finale fut livrée contre Jerry Wald, producteur de la Columbia, qui admirait La Bête humaine de Renoir et voulait l’adapter pour le public américain. Pour Wald, et pour la censure, pas question d’un dégénéré aux pulsions criminelles, qui plus est d’origine sexuelle. Huit fois le scénario sera réécrit par Alfred Hayes. Exit donc la bête humaine incarnée avec force par Gabin. Le personnage de l’amant, joué par Glenn Ford, devient un second rôle et un héros très propre, sur qui ne pèse pas le poids de l’atavisme. Pas d’ancêtres alcooliques dont il expie la faute. C’est juste un homme normal, amoureux d’une femme mariée. Le motif de la bête, édulcoré, trouve alors seulement des échos dans la jalousie délirante du mari et dans les calculs froids et sexuels de l’épouse.
Fruit du destin ou combat perdu d’avance, le film fut un échec. Peu de spectateurs dans les salles et une critique assassine, sûrement déjà comblée, à juste titre, par la version de Renoir. Il marqua aussi la fin du succès de Lang aux Etats-Unis. Les Contrebandiers de Moonfleet mis à part, ses derniers films produits outre-Atlantique ne connurent pas le succès escompté.

Alors, pourquoi voir ou revoir aujourd’hui Désirs humains ?

Glenn Ford et la belle Gloria Grahame dans Désirs humains, de Fritz LangD’abord parce qu’il semble que c’est dans l’adversité que Lang se révèle. Et, magie ou talent, tout dans ce film semble à sa place, maîtrisé et sublimé par le réalisateur. De la plongée dans l’Amérique des années 1950 avec ses héros du quotidien en lutte avec les machines (les trains) et eux-mêmes. A la brutalité des rapports humains, particulièrement entre les hommes et les femmes dans une société corsetée et asphyxiée. Magnifique Broderick Crawford en mari vengeur, se laissant prendre dans les fils de la toile diabolique qu’il tisse pour enchaîner son épouse. Fascinante Gloria Grahame en femme à l’affût, victime, bourreau, sensuelle et sexuelle à rendre fous tous les hommes qui croisent son chemin. Figure féminine qui nous échappe – on ne sait jamais si elle ment ou dit la vérité – mais que l’on finit par trouver attachante.
Tous ces personnages sont servis par une mise en scène sobre mais infaillible : impeccables jeux d’ombres et de lumières, plans à l’esthétique saisissante. Sans oublier l’effroyable scène du crime dans le train. Cette scène, qui n’est pas montrée chez Renoir, est magistrale chez Lang. De suspense, d’effroi et d’empathie pour les personnages, quand bien même sont-ils sans cœur.

Désirs humains est un film noir, d’une beauté glaciale, qui nous emmène finalement loin du drame social à la Zola. Il n’est plus question de ce déterminisme incarné par Lantier. Mais chez Lang et ce, malgré les efforts de la production pour escamoter toute bestialité, les personnages du mari et de la femme livrent un combat tout aussi irrépressible et violent contre leurs pulsions.

 
Désirs humains (Human Desire) de Fritz Lang, avec Glenn Ford, Gloria Grahame, Broderick Crawford… Etats-Unis, 1954. Sortie DVD le 29 février 2012.

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