Trois films de Gianfranco Rosi

 

Trois films de Gianfranco RosiCinéaste rare, Gianfranco Rosi n’a réalisé que trois films en vingt ans. Le premier, Le Passeur, fruit de huit voyages en Inde, vous plonge la tête dans le Gange. Une virée en noir et blanc où le sacré se mêle au putride, où les enfants nagent au milieu des cadavres. Sous le niveau de la mer a nécessité quatre ans de travail. Quatre ans pour apprivoiser hommes et femmes tous et toutes prisonniers du désert. Un témoignage en forme de chef-d’œuvre. El Sicario d’El Sicario, rattrapé in extremis par Dieu, raconte sa vie de tueur. Lui qui, jadis, ébouillantait ses ennemis, a trouvé la foi loin des sentiers de la perdition. Jusque-là quasi invisible en France, les éditions Montparnasse sortent le réalisateur italien de l’ombre en éditant un coffret avec ces trois films passionnants.

 

El Sicario chambre 164 (2010)

Gianfranco Rosi ne fait jamais les choses à moitié. Il est allé à la rencontre d’un impitoyable tueur mexicain recherché par son cartel pour abandon de poste. Pendant près d’1h30, dans sa chambre d’hôtel, assis sur un fauteuil, visage camouflé, il dessine feutre à la main son enfance, noircit des pages et des pages, explique quand, comment et pourquoi il a basculé dans la petite délinquance, les grands trafics de drogue jusqu’à devenir nettoyeur. El Sicario, bourré de coke, alcoolisé, parle et parle encore, des planques, de la torture, des contrats. C’est la réalité et c’est insoutenable. El Sicario confie vingt ans de sa vie. Sa tête vaut 250 000 dollars, plus que celle d’Alfredo Garcia.

Sous le niveau de la mer (2008)

Rosi nous emmène en plein désert à 300 kilomètres de Los Angeles où des marginaux vivent sans règles et sans contraintes. Hommes, femmes, vieux, vieilles, alcoolos, ils sont tout ce que vous voulez ; bannis, rejetés, expatriés, exclus, expulsés, émigrés, eux-mêmes ne savent plus trop, ou ne veulent plus savoir.
Nous devinons des silhouettes derrière les vitres brisées des caravanes. Les vents de sable érodent les bus rouillés ou ce qu’il en reste. Seules les tentes de l’armée américaine tiennent le coup.
Nous sommes à 35 mètres au-dessous du niveau de la mer. Pour beaucoup pas loin des six pieds sous terre. Les jeux sont faits.
Ce n’est pas une communauté de hippies mais des gens comme vous et moi. Personne ne les emmerde et ils n’emmerdent personne. Il y a le livreur d’eau, l’intello, le travelo, le fou, la folle, la doctoresse. Chacun traîne son histoire, ses amours et son désespoir. Ils se racontent sans tabou bière à la main, la clope au bec.
Le documentaire (présenté à la Mostra de Venise 2008) qui joue la carte du témoignage bienveillant n’entre jamais dans une excessive empathie qui pourrait s’apparenter à de la pitié. Ce monde n’est pas le nôtre. Leur repaire désolé ils l’aiment, ils le haïssent. Ce monde n’est pas le leur non plus. Très conseillé.

Le Passeur (1993)

Le Passeur raconte l’Inde. Les morts ont droit au Gange sacré, les pauvres ont droit aux lestes et aux eaux profondes. Deux poids, deux mesures. Les castes n’assurent pas même l’équité dans la mort. Gopal assure la traversée. Depuis des millénaires en Inde, la poussière retourne à la Mère. Dépaysement garanti. Je n’ai pas trouvé plus nul comme conclusion.

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