C’est eux les chiens…, de Hicham Lasri

 

C’est eux les chiens... d'Hicham LasriEn 1981, face à la hausse générale des prix, de nombreuses manifestations contre le pouvoir en place eurent lieu au Maroc (les “émeutes du pain”), entraînant dans leur sillage la mort de ces odieux opposants ou leur disparition de la société purement et simplement, du jour au lendemain. En guise d’évanouissement dans la nature, ils étaient en fait emprisonnés en secret, avec des peines si longues que leurs familles finissaient par perdre espoir et les oublier. C’est ce qui arrive à Majhoul, alias 404 (du numéro de son matricule, qui est devenu sa véritable identité), quinquagénaire hagard muni d’un bouquet de fleurs et d’une roulette à vélo, alors que le Printemps arabe commence à se tarir au Maroc, grâce aux concessions du roi. Une équipe de télévision en recherche de sujet, trouve cet homme perdu et confus et fleurant bon le scoop, tente de mettre à jour son mystérieux passé. D’abord méfiant et déconcerté par ce monde moderne qu’il ne reconnaît plus, considéré comme un mythomane au premier abord, puis comme un ami, Majhoul se laisse aller aux confidences en racontant les événements de 1981, bien déterminé à retrouver sa famille, mais sans posséder le moindre indice en poche.

S’ensuit une quête initiatique filmée caméra à l’épaule façon reportage, d’où s’échapperont des scènes tantôt insolites, tantôt émouvantes, avec des comédiens non-professionnels pour la plupart, à la sincérité désarmante. Si la propagande est omniprésente pour faire comprendre au peuple qu’il vit dans un royaume pétri de libertés, le discours devient tout autre lorsque Majhoul délivre son message, ce qu’il a traversé au cours de ces trente dernières années.

Au fur et à mesure des rencontres de son odyssée urbaine, il tombe sur une ancienne maîtresse aguicheuse, des dealers de drogue, des Marocains qui deviennent fous face à la caméra ou qui considèrent le Printemps arabe comme une chimère, ainsi qu’un ancien camarade de classe devenu rédacteur en chef d’un journal au service de l’Etat. Majhoul finit même par se recueillir devant sa propre tombe. Devenu fantôme, la petite roulette à vélo à la main, il collectionne les indices vers son identité pour enfin, comme Thésée suivant le fil d’Ariane, retrouver les siens. C’est eux les chiens, étonnante fiction culottée (qui se termine sur un générique assourdi de heavy metal !) est une parabole de la société marocaine actuelle, qui est parvenue à gérer plus ou moins bien son passé et les révolutions arabes qui ont failli ébranler sérieusement le régime en place. De victime, par son témoignage face caméra, Majhoul devient un rouage de la liberté au sein d’un pays qui lui a pris famille et trente années de sa vie. Grâce à ce système de reportage fictionnel, Hicham Lasri permet de glisser subliminalement sa vision d’un pays en bouleversement permanent, à travers le portrait d’un homme touchant et charismatique (prestation percutante de Hassan Badida) que l’on gardera longtemps en mémoire, sa roulette de vélo à la main.

» Lire aussi l’interview d’Hicham Lasri
 
C’est eux les chiens… de Hicham Lasri, avec Hassan Badida, Yahya El Fouandi, Imad Fijaj et Jalal Bouftaim. Maroc, 2013. Programmation Acid Cannes 2013. Sortie le 5 février 2014.

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