L’été sera chaud : Rencontre avec Jim Mickle

 

Jim MickleChangement de braquet pour Jim Mickle. Après We Are What We Are, un film sur une gentille famille cannibale, déjà à la Quinzaine l’an dernier, il adapte un roman de Joe R. Lansdale, Juillet de sang. L’histoire d’un type normal, avec moustache et coupe mulet dans le Texas de 1989, qui tue un homme s’étant introduit chez lui, avant de découvrir ce qui se cache vraiment derrière cette intrusion. Une réjouissante reconstitution des années 1980, avec, en prime, Don Johnson au casting. Un thriller violent et drôle, avec des accents de western et un parfum de revanche, le tout dans un style toujours léché.

 
Cold in July semble être un changement de cap, après We Are What We Are

Oui. Avec mon coscénariste, Nick Damici, on a adapté le roman de Joe Lansdale il y a longtemps, et je voulais que ce soit notre deuxième film au lieu d’être le quatrième. Mais les films d’horreur se font plus facilement, et puis on s’est retrouvés un peu identifiés à ce genre. Ce que j’aime dans ce film-ci, c’est qu’il y a des éléments de film de genre, mais c’est aussi une manière nouvelle et fraîche de le faire. Ca nous a pris sept ans, mais finalement, c’est le film que j’ai toujours voulu faire. We Are What We Are a un style bien particulier, et c’est aussi le film qui nous a fait connaître. Je ne voulais pas être cantonné à ce style, donc c’était important de faire ensuite quelque chose de complètement différent. Montrer qu’on avait un éventail assez large.

Il y a beaucoup d’humour dans Cold in July, alors que We Are What We Are était très sérieux.

Cold in JulyC’est ce que j’avais adoré dans le bouquin. En lisant, je riais et la page suivante, il se passait un truc très sombre. C’était un bon mélange de violence, de littérature pulp, et d’humour féroce. Je crois que les Américains ne savent pas très bien faire ça dans les films. D’autres pays ont trouvé ce que nous n’avons pas encore trouvé. Bong Joon-ho, par exemple, y arrive très bien. A un moment, je ne savais pas si le film se ferait un jour, j’étais dans un festival en Corée du Sud, et j’ai revu tous ses films. C’était vraiment ça que je voulais faire, montrer qu’on peut avoir des ruptures de ton sans perdre son public. J’ai demandé à toute mon équipe de voir Memories of Murder, juste pour leur montrer que c’était possible. On peut être à la fois drôle, sombre, violent, mélodramatique, émouvant, tout ça dans le même film.

Il y a d’ailleurs un savant mélange des genres dans ce film, du western au thriller.

J’ai beaucoup puisé dans le roman original. C’était ce qui m’avait plu au départ, il avait réussi à mélanger tous ces genres de manière naturelle, sans donner l’impression de jouer au malin ou de manipuler le lecteur. Quand on faisait des films d’horreur, on ne voulait pas qu’ils ressemblent à des films d’horreur. On voulait par exemple que We Are What We Are ressemble à un beau film d’époque. Nous avons toujours plus ou moins fui le style dans lequel on nous rangeait. Là, en faisant un thriller, on voulait vraiment prendre du plaisir à utiliser tous les codes du thriller : la caméra assez basse, la pluie, l’orage… Tous ces éléments avec lesquels j’ai grandi. En fait, c’est devenu comme une seconde nature, on était tellement habitués à s’en servir dans les films d’horreur que là on a vraiment pris du plaisir à faire un film qui appartenait à cette époque.

Avez-vous vu beaucoup de films des frères Coen, en particulier de la période des années 1980 ?

Cold in JulyOui. Sang pour Sang a été important, Red Rock West aussi, de John Dahl. Tous les thrillers qui se passent dans le sud des Etats-Unis. C’est un genre que j’adore et j’ai l’impression que ces films ont disparu. Je me disais que c’était dommage qu’on n’en fasse plus, que ce serait un genre qui allait mourir sans qu’on s’en souvienne. Je me suis senti un peu obligé de leur rendre hommage. Ensuite, une fois le tournage terminé, j’étais en promo pour We Are What We Are, et j’écoutais beaucoup de bandes originales des années 1980 pour me mettre un peu dans l’ambiance de ce à quoi je voulais que le film ressemble. De là est née l’idée de faire la musique au synthé. Donc ce sont des idées qui sont venues petit à petit, je ne me suis pas réveillé un jour en me disant : « on va faire un film d’action des années 1980 ! »

Et en plus, vous castez Don Johnson, LA figure iconique des années 1980. Une image avec laquelle vous jouez, notamment dans le premier plan de son arrivée…

Tout ça est venu plus tard. On savait qu’on voulait un personnage extravagant, bigger than life. Mais au moment où on a choisi Don Johnson, on ne pensait pas tellement faire un film des années 1980, c’était vraiment au début. On n’avait pas commencé le travail sur le look du film, les costumes, les accessoires, les décors, etc. Ce n’est qu’une fois sur le plateau que ça a sauté aux yeux : on faisait un film des années 1980 avec Don Johnson. Et on a beaucoup joué avec ça. C’était assez libérateur, on a décidé d’en profiter, et de s’en amuser avec le public. Beaucoup d’idées sont venues de Don lui-même. C’était magique, il n’arrêtait pas d’amener des nouvelles idées. C’est un excellent storyteller, et il a un œil cinématographique très aiguisé. C’est ce que j’ai appris en tant que réalisateur sur ce film : faire confiance aux acteurs, leur laisser la liberté d’essayer des choses.

Ca vaut pour vos trois acteurs, chacun amène avec lui ce qu’il représente en tant qu’acteur : Sam Shepard et sa figure de héros un peu dur, Michael C. Hall et son rapport au sang…

Cold in JulyJe voulais faire un film iconique. Pour choisir les acteurs, je visualise plus des silhouettes que des visages ou des expressions faciales. Pour Ben Russel, j’imaginais une grande figure paternelle. Et c’est génial qu’on ait eu Sam Shepard, parce que c’est exactement ce qu’il représente avec son image de cow-boy. Donc c’est sûr que pour les rôles de Don Johnson et Sam Shepard, c’était important d’avoir ces icônes. Mais je n’avais pas non plus fait la liste des stars des années 1980 à contacter… Pour Don Johnson, c’est surtout en le voyant dernièrement dans Django Unchained ou Kenny Powers, que j’ai pensé à lui. Il semble avoir trouvé une nouvelle voie dans la comédie, quelque chose de nouveau et rafraîchissant. Le fait qu’il soit une icône des années 1980, c’était du bonus. Et pour Michael, ce qui m’impressionne le plus, c’est sa capacité à changer, à se transformer. Il a toujours l’air différent, dans tous ses rôles. Et c’était vraiment ce dont on avait besoin pour ce type comme tout le monde. Il m’a semblé que ça amuserait Michael de jouer un type normal pour une fois.

L’autre chose frappante dans Cold in July, c’est cet univers très masculin, toujours en contraste avec les filles de We Are What We Are.

Après un film qui se focalisait sur la fragilité, les textures délicates, qui reposait beaucoup sur les papiers peints à fleurs, la coiffure de Julia Garner, les tissus, tous cet univers très féminin, aussi bien visuellement que dans la manière de raconter l’histoire, relire le scénario de Cold in July après We Are What We Are a été une bouffée d’air frais. Ce n’est pas que je n’aimais pas l’univers de We Are What We Are, mais quand on passe tellement de temps sur quelque chose, on s’en lasse un peu. Là, on passait aux voitures, aux mecs en sueur, à quelque chose de très viril… Et puis comme on avait la même équipe, ça faisait du bien à tout le monde de changer de registre. C’est aussi ce qui a mené à utiliser cette musique. Au départ, on devait faire comme sur tous les précédents, une musique symphonique. Mais pour celui-ci, on voulait vraiment tout faire différemment.

Ce film-ci se déroule au Texas, le précédent en Pennsylvanie, vous êtes attiré par l’Amérique profonde ?

Ce n’est pas conscient, c’est simplement que je viens de ces endroits, donc les histoires qui abordent ces sujets résonnent en moi. Mais effectivement, quand je regarde en arrière, je me rends compte que ce sont des histoires très américaines. J’aime les films qui ont un côté fantastique mais qui sont ancrés dans une certaine réalité, dans une certaine tradition. Mais je ne sais pas comment j’en suis arrivé à faire des films si américains, et je ne sais pas non plus ce qui les rend si américains.

Pourtant, vous semblez avoir plus de succès auprès des Européens…

Depuis notre premier film, j’ai l’impression que les publics européens comprennent plus vite. Aux Etats-Unis, ça prend du temps pour que les critiques parlent des films, les apprécient et en fassent ressortir certains aspects. Pour le premier film, c’était très étrange. Il est sorti en même temps aux Etats-Unis et en Europe. Aux Etats-Unis, j’avais des critiques horribles et, en parallèle, j’étais nommé pour des prix en Belgique. Ce n’est que lorsqu’on a participé au Festival de Tribeca que les choses ont changé aux Etats-Unis pour le film. Même pour We Are What We Are, j’ai senti la Quinzaine plus intéressée. Les Etats-Unis ont mis plus de temps à comprendre ce qu’on voulait dire sur la religion par exemple.

 
Juillet de sang (Cold in July) de Jim Mickle, avec Michael C. Hall, Sam Shepard, Don Johnson… France, 2014. Présenté à la 46e Quinzaine des réalisateurs.