Saint Laurent, de Bertrand Bonello

 

A mon regard tu te dérobes…

Saint LaurentQui ?

Le Pornographe, Tiresia, De la guerre, L’Apollonide : souvenirs de la maison close : en quelques films, Bertrand Bonello aurait pu mériter une place chez EDF tant son œuvre contribue à la montée de l’électricité de l’air. Sexe, emprise psychologique et aliénation sont au cœur de son travail cinématographique prolongé d’une quête esthétique toujours bonne à prendre en ces temps insipides.

Quoi ?

Il y a la version sympatoche de la vie de Saint Laurent, approuvée par son légataire et plutôt hagiographique, réalisée par Jalil Lespert. Et voici sa concurrente, sans doute un peu plus sulfureuse, dans laquelle Gaspard Ulliel reprend le rôle-titre, tenu plus tôt par Pierre Niney. Léa Seydoux en Loulou de La Falaise et Jérémie Rénier en Pierre Bergé viennent compléter ce biopic expérimental qui sortira dans les salles françaises à l’automne.

Résultat des courses ?

A première vue, l’élégance de Saint Laurent sied bien au cinéma de Bonello. Son biopic consacré au grand couturier déroule des images léchées, des cadres sophistiqués et quelques jolies trouvailles stylistiques, comme celle où l’écran se structure telle une toile de Mondrian pour célébrer la richesse d’une collection. Remarquable scène aussi que celle où Saint Laurent, pris d’hallucinations, voit des serpents ramper sur son corps. Idem encore, quand il croit se voir dans tous les êtres qui le séduisent.

Reflets, échos et résonances traversent chaque séquence du film, mais l’esthétique est souvent vaine. Bonello, soucieux de rendre hommage au Beau si cher à Saint Laurent, offre un écrin somptueux à son sujet, sans pour autant s’en emparer. Alors que la scène d’ouverture prenait son temps, s’immisçait dans les coulisses de l’atelier du maître et promettait une partition autour du geste, du savoir-faire et de la précision… La suite se limite souvent à un récit mi-tabloïd et mi-magazine de mode.

Les scènes s’enchaînent comme les volumes de la série Martine : Saint Laurent à Paris, Saint Laurent dans son majestueux riad de Marrakech, Saint Laurent tout nu dans un placard, Saint Laurent en soirée, entre amis, avec ses chiens… Avec, planant sur cette histoire l’ombre de Frankenstein (Bergé, incarné par Jérémie Renier, confiné dans le rôle de chef d’entreprise) et de son monstre (Yves Saint Laurent campé par un Gaspard Ulliel exceptionnel). Alors oui, Bonello, ultradocumenté, connaît collections et sources d’inspiration. Pour preuve le choix de la décennie sur laquelle repose tout son film : 1967-1976, Saint Laurent en pleine gloire invente le costume pour femmes et sort Opium. Oui, sa façon d’inclure dans son récit – trop linéaire – les créations d’Yves Saint Laurent est subtile et bienvenue. En confrontant, dans un split screen, les images de mannequins descendant les marches de la maison de couture année après année et celles de l’actualité, Bonello affirme que l’artiste était au-delà des modes.

Mais il manque à ce Saint Laurent-là, la force vitale et le rapport à la matière. On aurait voulu saisir l’élan créatif de Saint Laurent, son apport fondamental à la mode et son envie prégnante de libérer la femme. Un dernier point que Bonello balaie d’un revers de la main dans l’une des scènes de fin : trois journalistes de Libération préparent la nécro de Saint Laurent, persuadés qu’il est mort.

 
Saint Laurent de Bertrand Bonello, avec Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Léa Seydoux, Louis Garrel… France, 2014. Sélectionné en compétition au 67e Festival de Cannes. Sortie le 1er octobre 2014.

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