Jimmy’s Hall, de Ken Loach

 

En compétition au 67e Festival de Cannes

Jimmy's Hall, de Ken LoachQui ?

Sa productrice, Rebecca O’Brien, a déclaré cet été que Ken Loach raccrocherait « probablement » les gants, en tout cas de la fiction, après Jimmy’s Hall. Alors quel plus bel écrin que les 24 marches rouges du Palais des festivals pour lui dire adieu, lui qui a déjà dans son escarcelle une Palme d’or (Le vent se lève), trois prix du Jury (Hidden Agenda, Raining Stones, et La Part des anges), un prix du Scénario pour son fidèle comparse Paul Laverty (Sweet Sixteen) et une ribambelle de prix FIPRESCI (critique internationale) et de prix œcuméniques, en douze participations. Mais le détenteur du record du nombre de films en compétition pourrait changer d’avis. Ce dernier tour de piste a finalement réveillé ses envies, puisque Ken Loach, 78 ans en juin, a déclaré au Hollywood Reporter qu’« un petit film contemporain pourrait être une possibilité » pour retravailler avec Paul Laverty, son scénariste depuis Carla’s Song, sans convoquer une production trop encombrante. Sur les marches du Palais, Ken Loach commencera alors sa carrière à la Aznavour : une première tournée d’adieu… avant les suivantes.

Quoi ?

Pour ses faux adieux au Festival, Ken Loach avait pourtant bien fait les choses. Avec Le vent se lève – comme il l’avait fait avec Land and Freedom – ce ne sont plus les luttes sociales du quotidien qu’il met en scène, mais celles de l’Histoire, en l’occurrence celle des guerres civile et pour l’indépendance de l’Irlande dans les années 1920. Pour ce qui était annoncé comme sa dernière participation, Ken Loach met toutes les chances de son côté en refoulant le sol irlandais avec un portrait de Jimmy Gralton. Leader communiste dans l’Irlande des années 1930, il est le seul Irlandais expulsé d’Irlande alors qu’il utilisait sa salle de danse, Jimmy’s Hall, donc, comme une tribune politique. Une histoire de l’oppression qui traverse le siècle, avec laquelle Ken Loach, comme l’Irlande et la Grande-Bretagne, n’en ont pas terminé.

Résultat des courses ?

Sur une table poussiéreuse du Hall tout juste rouvert, Jimmy place le gramophone qu’il a rapporté des Etats-Unis. Le disque tourne et grésille dans le silence. Un air de saxophone s’élève. En habits de grosse toile, le public de Leitrim, dans le nord brumeux de l’Irlande, hausse les sourcils. Jimmy fait un pas à droite, un pas à gauche, lance un sourire plein de fossettes sous une masse de boucles noires, puis esquisse une secousse du pelvis qui provoque des rires étouffés. Bientôt tout le monde fait ses premiers pas de shim sham, et l’interroge sur les femmes noires avec lesquelles il a dansé à New York.

1932. Dix ans après la signature du traité anglo-irlandais, le jeune Etat libre d’Irlande, en pleine crise économique, se dote d’un nouveau gouvernement relativement progressiste pour remplacer les conservateurs au pouvoir depuis 1921. James Gralton, un ancien membre de l’IRA et militant communiste anti-traité, qui a émigré aux Etats-Unis après la ratification, saisit l’occasion pour rentrer au pays. De retour à Effernagh, dans le comté gris et rocailleux de Leitrim, il rouvre le Pearse-Connolly Hall, une maison commune qu’il animait au temps de la Révolution et qui porte le nom de deux penseurs socialistes irlandais.

Jimmy’s Hall redonne vie à Gralton en retraçant son combat pour la survie du lieu contre l’Eglise et les conservateurs catholiques. Le film se place comme une suite spirituelle de Le Vent se Lève : dix ans après le traité, l’Irlande est bien devenue le «trou perdu infesté de prêtres » annoncé dans le film de 2006. On retrouve la grisaille, la lutte, la violence. C’est pourtant la chaleur dorée du Hall qui l’emporte, et toute la personnalité simple et libre de cette baraque de fête filmée sans artifices. Moins strictement politique que Le Vent se Lève, Jimmy’s Hall s’attarde ainsi plutôt sur la libération de l’esprit et le rassemblement par la musique et la danse.

Avec ce Jimmy à la fois engagé et léger, Ken Loach crée un homme riche et nuancé, peut-être plus complet que la plupart de ses personnages principaux. Et ajoute, pour son dernier film de fiction (paraît-il), une touche légère à son œuvre : si la dignité de l’être humain passe par la justice sociale, elle doit aussi beaucoup à la joie de vivre.

Jimmy’s Hall, de Ken Loach avec Barry Ward, Simone Kirby, Jim Norton… Angleterre. Sortie en salle le 2 juillet 2014.

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