Les Combattants, de Thomas Cailley

 

Apocalypse now

Les CombattantsDans ce Festival de Cannes, où les femmes sont battues, violées, bafouées, Les Combattants offre enfin un personnage de femme forte. La première combattante du titre, c’est d’abord elle, Madeleine, Adèle Haenel. Athlétique, froide, abrupte. La survie est son mode de vie, son aspiration. Il s’agit de se préparer à l’inévitable, l’apocalypse autant redoutée que fantasmée par cette ex-étudiante en macroéconomie qui a abandonné ses études, estimant qu’il ne sert à rien de prévoir les mouvements d’un monde voué à disparaître. Car Madeleine est pragmatique. Ce qui ne lui servira pas en situation extrême ne l’intéresse pas. Aller boire un verre, danser, pour quoi faire ? Les Combattants, et c’est là l’une de ses nombreuses originalités, est une romance entre les personnages les moins romantiques du monde. Madeleine est entière. Pour survivre, il faudra être préparé, alors elle s’y attelle. Boit du sang de maquereau, fait de l’apnée dans sa piscine, un sac à dos rempli de tuiles, le tout pour intégrer les commandos de l’armée où elle espère apprendre des astuces comme celle de se pisser dessus en cas d’avalanche pour savoir où est le sol. “Ah ouais, pas con, j’y aurais pas pensé”, dit-elle sans ironie aucune. Le premier degré de Madeleine, sa détermination jusqu’au-boutiste y est pour beaucoup dans cette comédie pour une fois franchement drôle, sans avoir recours à des gags lourdingues. Le décalage entre Madeleine et Arnaud, jeune homme un brin naïf mais très intrigué par la jeune femme, donne au film sa saveur, avec un naturel confondant. Suivant le fameux schéma “first, they meet, then, they fight, then, they fuck” (d’ailleurs le titre anglais du film estLove at First Fight), les deux futurs tourtereaux commencent par se battre, littéralement, avant de se tourner autour, avec maladresse, parfois à l’aide de poussins congelés en guise de cadeau. Le jeune homme, comme le spectateur, est sans cesse dérouté et surpris par Madeleine, à qui le regard dur et la diction saccadée d’Adèle Haenel donne tout son caractère. Jamais il ne la juge. Au contraire, Arnaud plonge avec elle dans son délire apocalyptique, intègre un stage de l’armée pour être à ses côtés, lui offre la survie dont elle rêve le temps de quelques jours en forêt. Mine de rien, avec sa fraîcheur, son humour féroce et ses dialogues incisifs, Les Combattants pourrait être la comédie la plus sincère et juste qu’on ait vue dans le cinéma français depuis longtemps. Ajoutons à cela une certaine audace (réaliser une comédie sentimentale dans l’univers le moins glamour qui soit) et une maîtrise formelle revendiquée : ce n’est pas parce qu’on fait une comédie qu’elle doit être moche. Pour son premier film, Thomas Cailley rend ses lettres de noblesse au genre. Une très belle promesse pour les années à venir.

 
Les combattants de Thomas Cailley avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs, Antoine Laurent… France, 2014. Sortie le 20 août 2014. Prix SACD de la 46e Quinzaine des réalisateurs.