Avant Dylan
Dans le Greenwich Village de la fin des années 1950, les Coen composent une balade folk nonchalante et désenchantée.
Un jeune homme dans le fond d’un bar entonne une chanson douce d’une voix nasillarde. On la reconnaîtrait entre toutes, cette voix ; c’est une voix de légende, c’est la voix de Bob Dylan. Et ce bar, c’est le lieu de toute une mémoire musicale, le Folk City de ses débuts prometteurs, en 1961. Il commençait, il n’avait pas encore de nom, la scène new-yorkaise préférait encore le swing sûr du jazz. Le revival du folk s’annonçait.
Le Folk City : c’est ici que commence et ici que finit le film circulaire des frères Coen, de retour en compétition officielle au 66e Festival de Cannes. Au sortir de ce bar : un homme qui n’aura connu aucune gloire, un homme de solitude, penché sur les mélodies indolentes de sa guitare. Avant Dylan, les balades étaient des chansons tristes et la scène folk se peuplait de magnifiques musiciens que les producteurs ignoraient. De ces gens-là, au talent confidentiel, le film se souvient. D’un beau portrait de loser, inspiré de l’autobiographie du musicien folk Dave Van Ronk – The Mayor of MacDougal Street-, il tire le souvenir d’une époque reconstituée en même temps que réhabilitée : ce que dit Inside Llewyn Davis, c’est qu’il y eut, oui, un temps avant Dylan, dans les années 1950 au Village, et il faut l’écouter.
Comme on est au cinéma et chez les frères Coen, metteurs en scène précis et brillants, il n’est pas question de reconstitution historique, mais de fiction, dont il importe peu qu’elle croise ou non le réel d’hommes et de femmes qui ont existé. Inside Llewyn Davis est une histoire singulière, qui mène son récit selon la trajectoire de sa seule vérité intime : des cafés de New York à un club désert de Chicago, s’accomplit le voyage aller et retour d’un chanteur de folk sans toit et sans attaches, odyssée d’un Ulysse qui court après l’argent, le succès, le bonheur. Oscar Isaac, épatant performeur vocal, est ce musicien voyageur formidablement entêté, mais qui n’arrive jamais où il veut, perdu, perdant, terriblement attachant. On voudrait prendre la main de sa solitude, l’embarquer dans la lumière, partager sa vie, l’aimer mieux que les quelques amis de son cercle – Carey Mulligan et Justin Timberlake, surprenants en duo folk.
Chez les Coen, on ne s’abandonne pas à la tristesse et le désenchantement de Llewyn Davis s’allège toujours de la politesse du désespoir, d’un rire libératoire. Il nous attache et nous amuse, comme chacun des personnages qu’il croise sur sa route, des caractères dont les traits particuliers sollicitent des acteurs qui ne ressemblent à personne – mention spéciale à l’indispensable John Goodman.
Cette semaine dans la vie d’un jeune musicien folk des fifties imprime dans nos mémoires son éternité mélodieuse. Le cinéma est peuplé de fantômes ; l’ombre de Dylan passe. (Jo Fishley)
Inside Llewyn Davis de Joel et Ethan Coen, avec Oscar Isaac, Justin Timberlake, Carey Mulligan… Etats-Unis, 2013. Sortie le 6 novembre 2013. Grand Prix du 66e Festival de Cannes.
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